vendredi 29 mai 2015

La vie quotidienne des écrivains # 3 les écrivains et leur entourage

Les écrivains ne vivent pas en autarcie, Ils ont souvent une famille, des amis en tout genre, voire des animaux de compagnie. Et laissez-moi vous dire que la vie de ceux qui gravitent autour d'eux n'est pas toujours facile.
Voilà ce qu'il vous faudra supporter si vous vivez avec un/ une écrivain(e) :

# 1 vous ferez office de cobaye

Steinbeck et sa seconde épouse,
le jour de leur mariage
Beaucoup d'écrivains lisent à leur moitié leurs premiers jets. Opération délicate s'il en est une car il s'agit de ne pas froisser l’ego fragile de l'artiste, perpétuellement soumis aux tourments du doute et aux affres de la page blanche, tout en critiquant honnêtement son oeuvre. Steinbeck, lui, ne s'embarrassait pas : il lisait à sa femme ses premiers chapitres à la seule condition qu’elle lui dise « c’est merveilleux mon chéri ! ». 
Une manière d'assurer la paix dans les ménages ? En tout cas, cela ne l'a pas empêché de divorcer deux fois...
Il existe une autre méthode, moins répandue mais pas forcément moins fiable : il paraît que William Wordsworth récitait sa prose à… son chien tandis qu’il le promenait. Lorsque le chien aboyait, le poète en déduisait qu’il lui fallait réécrire son texte sur-le-champ.


# 2 l'amour que vous vouera l'écrivain passera toujours après l'amour des mots

Flaubert
disséquant Mme Bovary
(Caricature de A. Lemot)
Flaubert nous fournit à ce sujet une anecdote à la fois amusante et navrante. C'est Jean-Philippe Arrou-Vignod qui la relate dans son livre consacré à la correspondance Le discours des absents.
A 18 ans, Flaubert se mit à envoyer des lettres passionnées pendant presque 3 mois à une femme pour laquelle il n'éprouvait pourtant absolument rien. Selon ses propres mots il voulait "se forcer à l'aimer". Idée assez étrange tout de même.
Mais ça a marché... dans une certaine mesure. Les mots, de plus en plus hardis, ont pris de l'avance sur les sentiments et, lettres enflammées après lettres enflammées, un ersatz d'amour a vu le jour.
Jusqu'à ce qu'ils se rencontrent. Nos amoureux pas si transis que ça, se sont alors regardés dans le blanc des yeux et, gênés, se sont séparés, en se demandant ce qui avait bien pu leur prendre.
Je ne sais pas si Flaubert a reconduit l'expérience avec d'autres femmes, ce qui est sûr, c'est qu'il a subi toute sa vie l'influence des mots. Alors qu'il décrivait, avec moult détails, l'agonie de Mme Bovary, empoisonnée à l'arsenic, il s'était mis à développer les même symptômes qu'elle. 
Du mot aux maux il n'y a qu'un pas. Ce n'est pas un hasard si Daniel Pennac donne du mot Bovarysme la définition suivante : maladie textuellement transmissible.


# 3 vous supporterez leur (très) mauvais caractère

Les écrivains peuvent se montrer très durs avec leur entourage. Je ne sais pas si le despotisme vient avec le génie, mais de nombreux grands écrivains étaient tout simplement invivables. Je vous livre trois exemples piochés dans les pages du magazine Books (Hors-Série n°4, novembre 2013):

Tolstoï était obsédé par son oeuvre et n'accordait que peu d'importance à ses enfants (pourtant nombreux : il en a eu treize)  Il tolérait ses filles mais pas ses fils qu'il trouvait tous " inconcevablement obtus".
Il ne se privait pas non plus d'exploiter sa femme, Sophie, laquelle avait d'ailleurs un caractère insupportable. Qui se ressemble s'assemble. 

Dickens, pourtant maître du conte moral et pourfendeur des injustices était d'une dureté incroyable avec sa femme Catherine. Il est même allé jusqu'à l'expulser de sa propre maison. Mme Dickens n'avait pas le caractère de Mme Tolstoï, elle était d'une douceur et d'une patience inouïe et elle est restée fidèle à son mari malgré tout. Très peu rancunière, sur son lit de mort, elle légua sa correspondance au British Museum "pour que le monde sache qu'un jour il m'a aimée".

Dernier exemple des écrivains invivables, V.S. Naipaul, traitait sa femme comme une secrétaire (réclamant cafés et dossiers depuis son bureau)  et déclarait "à l’école, je n’avais que des admirateurs ; pas d’amis". Le ton est donné.

# 4 Vous composerez avec leur tempérament sauvage 

Il y a sauvage et sauvage. Le cas d'Emily Dickinson, rapporté par Alberto Manguel est assez charmant. Par timidité, paresse, ou excentricité, elle recevait les gens chez elle sans sortir de sa chambre. Les invités prenaient le thé dans le salon du rez-de-chaussée et elle suivait les conversations depuis le premier étage, en laissant sa porte ouverte. Même quand elle invitait des enfants, elle ne se montrait pas et, pour leur faire des petits cadeaux, elle attachait des friandises à une ficelle pour les faire descendre par la fenêtre.

Le cas de J. D. Salinger est bien plus effrayant. Il vivait dans un respect maladif de la vie privée, imposait à son entourage un régime alimentaire hyper stricte (des fruits, des légumes cuits et des noix pour l'essentiel), n'acceptait aucune visite et entrait dans une fureur incontrôlable si quelqu'un avait le malheur de communiquer son numéro de téléphone. 
L'écrivaine Joyce Maynard, (qui avait trente-cinq ans de moins que Salinger) partagea un instant sa vie et raconte son calvaire dans Et devant moi, le monde

Au bout d'un an, leur relation s'arrêta brusquement quand elle fut "congédiée", selon ses propres mots, par Salinger. Leur rupture coïncida avec la parution du premier livre de Joyce Maynard, Une adolescence américaine. "Il se pourrait que ton livre soit pour nous la fin", lui avait alors dit Salinger.
Les écrivains ne sont pas toujours des gens très fréquentables...surtout pour leurs condisciples. 

La semaine prochaine : Les écrivains et l'argent

Cécile