vendredi 26 juin 2015

Les grandes (et petites) amoureuses de la littérature # 2 L’amoureuse dans le roman : silencieuse, lointaine et toujours résignée

 Règles, codes, interdits, mari ou père …
 L’amoureuse s’affronte souvent à sa famille, à la société, aux conventions, par amour.

Au 12ème siècle, la littérature, liée aux cours royales décrit un nouvel art d’aimer. Le roman courtois parle du couple amoureux, mais aussi de la femme aimée ou aimante. L’amour se féminise. Si l’homme amoureux est valeureux, la femme aimante est souvent lointaine ou exigeante. Elle réclame une dévotion complète et une soumission absolue. Son désir intense se nourrit de tous les obstacles.
Ainsi Guenièvre, épouse du roi Arthur, amoureuse de Lancelot, chevalier errant, au service de sa « Dame muette ». Chrétien de Troyes dans Lancelot ou Le chevalier de la charrette, raconte un coup de foudre et une relation adultère au Moyen-âge.


Premier baiser de Lancelot et Guenièvre


A l’époque médiévale, le sentiment amoureux dans la littérature ignore les règles de la société, mais les femmes et les hommes amoureux finissent le plus souvent écrasés par les codes sociaux de leur époque.
D’où de nombreux couples maudits.
Tristan et Iseut, deviennent amants après avoir bu par erreur un filtre d’amour. Leur passion éternelle est fatale.

Tristan et Iseut



Héloïse, 15 ans, écrit à son amant Abélard : « ces voluptés chères aux amants que nous avons goûtés ensemble me furent si douces que je ne peux ni les détester ni les bannir de mes pensées ». Héloïse finira abbesse d’un couvent et l’objet de sa passion, Abélard, sera castré !





Julie
Les règles ou les interdits continuent à travers les siècles à briser les amoureuses. Elles doivent le plus souvent renoncer aux hommes qu’elles aiment. Ainsi Julie dans Julie ou La Nouvelle Héloïse de Jean Jacques Rousseau. Cette amante du 18ème siècle est magnifiée dans sa souffrance et sa résignation. Sa passion est sublimée par l’écrivain. La morale l’emporte, certes, mais du point de vue purement littéraire, c’est la passion qui gagne. Le style est flamboyant « Sans savoir ce que je faisais, je choisis ma propre infortune ; j’oubliais tout, et ne me souvins que de l’amour : c’est ainsi qu’un instant d'égarement m’a perdu à jamais. Je suis tombée dans l’abîme de l’ignominie, dont une fille ne revient point ; et si je vis, c’est pour être plus malheureuse ».

Et les années, les siècles passent …

Dans les romans du 19ème siècle, la passion amoureuse est un thème courant mais c’est le plus souvent l’homme qui a le beau rôle. L’amoureuse reste conforme à la femme de son époque. Elle est enfermée dans des contraintes bourgeoises. Elle est docile et malheureuse, ou insoumise et punie.
Honoré de Balzac est l’écrivain par excellence de la passion amoureuse au féminin. Il a créé de nombreux modèles d’amoureuses :
Dans le Lys dans la vallée, il crée un amour immense mais platonique entre Félix et Mme de Mortsauf. Elle souffre tout autant que lui, mais elle résiste et ne peut supporter que l’objet de son amour succombe au péché de la chair avec une autre.

Téléfilm de Marcel Cravenne (1970)

Différences de classes sociales, dote à payer en cas de mariage, comment la passion amoureuse peut-elle vivre ou survivre avec de telles contraintes ?



Eugénie Grandet autre héroïne de Balzac, est broyée par l’ordre social, décrite comme  « une petite sotte, sans éducation, commune, sans dot, et qui passe sa vie à raccommoder des torchons »

 Encore plus dramatique est la destinée d’Esther Gobseck Dans Splendeurs et misères des courtisanes. Balzac raconte la vie merveilleuse et sordide d’une demi-mondaine. Cette courtisane, fille non reconnue d’un usurier de cauchemar, est follement amoureuse de Lucien de Rubempré. Elle monnaye son corps pour l’enrichir. Quand la jeune prostituée ne peut plus repousser le baron de Nucingen et doit se laisser posséder par lui, elle préfère se donner la mort.

Mais Honoré de Balzac n’est pas le seul écrivain du 19ème siècle à sublimer la femme amoureuse.
Charlotte Brontë raconte le sort pitoyable de Jane Eyre. Cette amoureuse résignée, se plie aux conventions et refuse de devenir la maîtresse d'Edward Rochester. Ils s’aiment mais il est marié et ne peut rompre son mariage (sa femme a sombré dans la folie). Quand les deux amants peuvent enfin être heureux, Charlotte Brontë arrête volontairement son récit.


Les amoureuses de Jane Austen sont enfermées dans un carcan sociétal qui détruit tout sentiment amoureux. Ainsi Elinor et Marianne dans Raison et sentiments.





La semaine prochaine : Les amoureuses sortent de leur silence et les sentiments explosent dans la Tragédie

Isabelle