vendredi 8 juillet 2016

L'Homme à l'autographe de Zadie Smith

L'homme à l'autographe est le deuxième livre de Zadie Smith (dont je vous ai parlé dans la chronique précédente). J'ai choisi de vous présenter ce roman plus en détail car, de ses quatre livres, c'est le moins connu et c'est également mon préféré.

Comme dans la plupart des romans de Zadie Smith, l'action se situe dans la banlieue de Londres où vit Alex-Li Tandem, notre (anti-)héro.
Son nom est déjà tout un programme : comme le tandem, Alix-Li est double, et même triple : anglais, juif et chinois.
Le livre s'ouvre sur une mémorable scène de combat de catch auquel assiste Alex-Li et quelques amis. Il a treize ans, et cette journée marquera à tout jamais son existence : il se découvre une passion pour les autographes et, surtout, au beau milieu des supporters qui veulent féliciter leur champion à la fin du match, le père d'Alex-Li meurt d'un cancer qu'il avait caché à son entourage.


Nous retrouvons ensuite Alex-Li à 30 ans et toujours incapable de sortir d'un deuil qu'il refuse de faire. Il est adulte, ou tout du moins il est sensé l'être, mais sa seule stabilité lui vient de son métier : il est "autographiste", chargé d’authentifier et de vendre des autographes. Le reste de sa vie est chaotique au plus haut point. Il est amoureux, mais incapable de s'engager, il boit (trop) et fume un peu tout, et surtout n'importe quoi.

Julia Faye, actrice
de cinéma muet
Il voue également un culte à une starlette hollywoodienne au temps du cinéma muet, Kitty Alexander, réputée pour ne jamais donner d'autographe. 
Or, voilà qu'un jour où Alex-Li est dans un état plus que second, il trouve un autographe de Kitty dans sa boîte aux lettres. Et cet autographe marquera le début d'une quête initiatique qui, de Londres à Hollywood, permettra enfin à Alex-Li de grandir et de faire son deuil.

J'ai beaucoup aimé suivre les tribulations à la fois cocasses et touchantes d'Alex-Li, et j'ai particulièrement aimé le style fluide, très imagé de Zadie Smith. Cerise sur le gâteau, ce roman est truffé d'humour (notamment d'humour juif) et c'est à la page 148 que j'ai découvert une merveilleuse blague que, rien que pour vous, j'ai retranscrite ci-dessous : 

"L’Histoire du pape et du grand rabbin :

Il y a plusieurs siècles, le pape avait décrété l'expulsion de tous les Juifs d’Italie. Naturellement, cette décision provoqua de vives protestations au sein de la communauté juive, si bien que le pape leur proposa un marché. Il prendrait part à un débat théologique avec un chef spirituel de la communauté juive. Si ce dernier remportait le débat, les Juifs seraient autorisés à rester en Italie. Si le pape gagnait, les Juifs seraient obligés de partir.

La communauté juive se réunit et choisit un vieux rabbin, Moishe, pour la représenter au débat. Mais Rabbi Moishe ne parlait pas latin, et le pape ne parlait pas yiddish. On convint donc que le débat serait « silencieux ».

Le jour du grand débat, le pape et Rabbi Moishe s'assirent l'un en face de l'autre. Ils restèrent immobiles une bonne minute, jusqu'à ce que le pape tende la main et lève trois doigts. Le rabbin soutint son regard et leva un seul doigt.

Puis le pape fit tourner un doigt autour de sa tête. Rabbi Moishe désigna le sol. Alors le pape produisit une hostie et un calice de vin. Rabbi Moishe sortit une pomme. Là-dessus, le pape se leva et dit : « Je reconnais ma défaite. Cet homme a eu le dessus. Les Juifs peuvent rester. »

Plus tard, les cardinaux se rassemblèrent autour du pape pour lui demander ce qui s'était passé. Le pape dit : « D’abord, j'ai levé trois doigts pour représenter la Trinité. Il a répondu en levant un seul doigt, pour me rappeler que malgré tout il n'y a qu'un seul Dieu, commun à nos deux religions. Alors j'ai fait tourner mon doigt autour de moi pour lui montrer que Dieu était tout autour de nous. Il a répondu en désignant le sol pour montrer que Dieu est aussi ici-bas avec nous. Enfin, j'ai sorti le vin et l'hostie pour montrer que Dieu nous absout de nos péchés. Il a sorti une pomme pour me rappeler le Péché originel. Il avait réponse à tout. Qu'est-ce que je pouvais faire d'autre ? »

Pendant ce temps, la communauté juive se pressait autour de Rabbi Moishe pour lui demander ce qui s'était passé. « Eh bien, dit Moishe, d'abord il m’a dit : “Vous les Juifs, vous avez trois jours pour vous en aller." Alors je lui ai dit : "Pas un seul d'entre nous ne partira d'ici." Alors il me dit que toute la ville va être vidée de ses Juifs. Et moi je lui dis : "Écoutez-moi, monsieur le pape, nous les Juifs… on reste ici!"

— Et alors? demanda une femme.

— Je ne sais pas, dit Rabbi Moishe. On s'est arrêtés pour manger."

Cécile