vendredi 17 juillet 2015

Les grandes (et petites) amoureuses de la littérature # 5 le roman où la pureté n’est plus exaltée

L’image de la femme amoureuse écrasée par la société et les mœurs de son époque est dépassée. Les femmes malheureuses, ravagées ou résignées par amour deviennent plus rares dans la littérature. L’écrivain crée, pour garder ce modèle, de nouveaux obstacles, plus terrifiants et destructeurs.
Ainsi comment peut-on lutter contre une rivale morte ? « J’aurais pu lutter contre une vivante, non contre une morte. S’il y avait une femme à Londres que Maxime aimât, quelqu’un à qui il écrivît, rendît visite, avec qui il dinât, avec qui il couchât, j’aurais pu lutter. Le terrain serait égal entre elle et moi. Je n’aurai pas peur » (Rebecca de Daphne Du Maurier).


Rebecca, A. Hitchcock, 1940

Stefan Zweig dans sa nouvelle Vingt-quatre heures de la vie d’une femme raconte la pulsion amoureuse que Mrs C. ressent pour un flambeur, un joueur compulsif rencontré dans un casino. Une journée où le désir incontrôlable conduit cette veuve respectable à vouloir combattre une addiction suicidaire. Bien des années plus tard, devenue une vieille dame respectable, elle avoue son péché.

Autre obstacle impitoyable : la disparition de l’être aimé dans l’horreur de la guerre durant les deux conflits mondiaux.
« Mathilde cherche Manech » son amour de toujours qui a été condamné à mort et exécuté pour avoir refusé de combattre. Elle ne veut pas croire à la mort de celui qu’elle aime. Nous sommes en 1917 dans Un long dimanche de fiançailles de Sébastien Japrisot.


Bande-annonce de Un long dimanche de fiançailles, de J.P. Jeunet


C’est en 1945 que Véra, 16 ans, voit disparaître son amoureux. Elle ne peut qu’attendre son retour. « Une femme si intensément destinée au bonheur et qui choisit, on dirait avec insouciance, la solitude, la fidélité envers un absent… » (Andreï Makine, La femme qui attendait.)



Mais au 20ème siècle, une autre profil d’amoureuse se met en place et perdure encore actuellement.

L’écrivain autorise d’abord la femme amoureuse à aimer sans tabous. Le désir est reconnu et déclaré. La séduction est autorisée, l’acte physique mentionné, puis décrit.
Dès le début du siècle, Colette aborde dans sa série Claudine la passion amoureuse entre femmes.
David Herbert Lawrence dans L’amant de Lady Chatterley décrit le périple amoureux de Constance, jeune femme mariée, à un homme paralysé et impuissant. Pour sortir d’une vie monotone, elle entame une liaison avec un garde-chasse. Mais à la différence des héroïnes des siècles précédents, elle n’est pas punie. Elle obtient même la séparation et le divorce.



Des textes scandaleux lors de leur publication, devenus des « classiques » de la littérature.

Qu’en sera-t-il de la série  Fifty shades : cinquante nuances de Grey  de E L James ? Seule certitude : l’acte sexuel ne se cache plus et devient même vecteur principal d’un succès éditorial.

Enfin, une nouvelle forme du récit est établie. La passion amoureuse au féminin n’est plus décrite comme une aventure féminine. Elle perd de sa violence, de sa force. Les mêmes éléments du récit peuvent perdurer, mais tous les excès sont bannis : un peu de jalousie, un peu de violence, quelques pleurs, aucun suicide, un peu de sentiments, du sexe….
Les codes du roman d’amour changent avec la naissance du roman sentimental populaire, aussi nommé de façon péjorative  « roman rose » ou «  à l’eau de rose » et  de nos jours « littérature de poulette » (chick lit).
Dans ce nouveau type de roman, la femme amoureuse est le personnage principal. Le texte est construit autour d’une héroïne souvent urbaine, active, « à la recherche du grand amour », comprendre l’amour éternel et unique. Le processus amoureux va de la découverte de l’amour et à son dénouement heureux avec quelques scènes d’amour idéalisés ou érotiques.
C’est le triomphe d’une passion amoureuse féminine volontairement banalisée.

Ces amoureuses se sont multipliées au 20ème et 21ème siècle, car « elles se vendent bien ». L’édition de ces romans sentimentaux est même devenue une gigantesque entreprise commerciale qui rapporte des milliards à travers le monde.
Mais faut-il vraiment se questionner sur l’intérêt du  roman sentimental populaire? Il donne à lire à ses millions de lecteurs -plutôt des lectrices- une passion amoureuse certes très morale, mais heureuse. C’est une littérature des bons sentiments, qui permet aussi de s’évader d’un quotidien morose, de se faire du bien.

Petits romans, collections spécialisées, séries standardisées…Parmi les auteurs les plus lus :

Barbara Cartland. Auteur plus de 400 romans d’amour, publiés dès 1923. Un titre parmi d'autres: Le roi et elle.
Anne Golon et sa célèbre série Angélique, adaptée pour le cinéma.
Cécile Saint-Laurent, pseudonyme choisi par l’académicien Jacques Laurent pour publier sa série Caroline Chérie
Nora Roberts, Un cœur naufragé
Danielle Steel,Traversées
Barbara Taylor Bradford, La splendeur de Cavendon Hall
Candace BushnellLe journal de Carrie, l'héroïne de la série Sex and the city






Et bien d’autres encore… Mais je n’irai pas plus loin.

Dans les années à venir, de nouvelles «  grandes amoureuses » vont-elles nous être dévoilées ? Une chose est certaine : l’empathie entre l’amoureuse de fiction et ses lecteurs va continuer à fonctionner.

Isabelle